Nouvelle taxe aéroportuaire en RD Congo : Le coût visible et le prix à payer

Nouvelle taxe aéroportuaire en RD Congo : Le coût visible et le prix à payer

Nouvelle taxe aéroportuaire en RD Congo : Le coût visible et le prix à payer 1200 673 Centre de recherche sur le Congo-Kinshasa

Par Esimba Ifonge

Pourquoi au-delà même de la taxe de 30 dollars qui fait polémique au Congo, le partenariat public-privé entre les autorités congolaises et l’entreprise américaine Securiport LLC est un bradage au de la souveraineté numérique et de la sécurité nationale des congolais.

Récemment, le débat public en République Démocratique du Congo s’est focalisé sur la nouvelle redevance de 30 USD imposée aux voyageurs pour financer la sécurité aéroportuaire assurée par l’entreprise américaine Securiport LLC. Cette taxe, symbole d’une certaine continuité dans le racket des congolais, n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg. Parce que sous la promesse fallacieuse de modernisation, se cache un captage de données qui hypothèque la souveraineté numérique et la sécurité nationale de la RDC pour des décennies.

Une double peine

Securiport, en fournissant des solutions intégrées de contrôle aux frontières, s’octroie, d’une certaine manière, le contrôle du système nerveux digital de la frontière. Ses solutions intègrent des systèmes biométriques sophistiqués (empreintes digitales, reconnaissance faciale), des bases de données de voyageurs et d’antécédents, et des outils d’analyse de risque par Intelligence Artificielle (IA). Confier ces fonctions régaliennes à un Partenariat Public-Privé (PPP) étranger, c’est clairement accepter le principe de la dépendance structurelle.

Dans le monde du XXIe siècle, l’information et les données constituent des ressources stratégiques. Le Congo va payer 30 USD par tête et livrer ses données vitales. C’est une sorte de double peine pour les congolais. Les congolais vont payer cher pour une perte de contrôle sur leurs données sensibles (biométriques, migratoires, sécuritaires) qui peuvent être hébergées sur des serveurs étrangers. Cela ouvre la porte à des fuites, des transferts non autorisés, et surtout, à une dépendance stratégique totale vis-à-vis du fournisseur.

Comment ce type de contrat est-il possible aujourd’hui ? Le Congo n’est pas le seul à avoir signé. Nombreuses autorités africaines (Cote d’Ivoire, Sénégal, Gambie, Guinée Equatoriale, République de Centrafrique, etc .) ont signé avec Securiport. Pourquoi ? Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la sécurité aérienne et frontalière est devenue un élément essentiel du transport international. Et les pays africains sont soumis à des pressions de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), de l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM), de l’Union Européenne ou des États-Unis, pour s’adapter à cette nouvelle donne. Elles doivent donc investir pour renforcer le contrôle des passagers et prouver qu’ils disposent de systèmes modernes d’analyse des menaces. C’est là que Securiport intervient avec un “package clé en main” qui permet à un État d’atteindre rapidement les standards internationaux sans devoir tout développer en interne, à moindre coût.

Dépendance structurelle

C’est dans ce contexte que le Congo a signé un contrat pour lequel « la redevance de sécurité de 30 dollars sera versée mensuellement sur un compte conjoint que le gouvernement et Securiport ouvriront ensemble » et par lequel une «instruction irrévocable de transfert mensuel des fonds sera appliquée, répartissant 85 % des montants à Securiport, pour amortir son investissement, et 15 % à l’État congolais.»

Ce contrat est léonin parce qu’il impose une redevance obligatoire au peuple tout en déchargeant l’État de sa responsabilité d’investissement. Par ailleurs, l’absence de maîtrise du code source, de l’infrastructure et de la maintenance limite drastiquement la capacité d’innovation locale et rend la RDC structurellement dépendante de Securiport pour le fonctionnement de sa propre sécurité.

Cette asymétrie de pouvoir dans une transaction commerciale ne peut exister sans une dimension géopolitique derrière. Parce que la maîtrise des infrastructures de sécurité est un instrument d’influence et de pouvoir. En cas de tension internationale, l’accès à l’information critique sur les citoyens congolais et les mouvements stratégiques du pays pourrait être utilisé comme un levier de chantage.

De plus, ce bradage crée une faille dans la gouvernance et les droits humains. L’utilisation de données biométriques et comportementales sans un cadre juridique clair et local, sans loi effective de protection des données personnelles, viole la vie privée des citoyens et fragilise la confiance entre l’État et son peuple.

Le prix à payer

Que faire ? Ce type de contrat et ce bradage de la souveraineté congolaise doivent inciter les sociétés civiles congolaises mais aussi les acteurs politiques et économiques congolais patriotes à faire preuve de plus d’exigence et de plus d’intransigeance notamment sur les enjeux de souveraineté, numérique dans ce cas précis.

Il serait urgent, pour ces derniers, d’adopter une stratégie de rupture et de pousser les parlementaires à rectifier le tir impérativement. Comment ?

Tout d’abord, en exigeant un audit. Il faut exiger immédiatement l’accès complet au code source et aux algorithmes et mettre en place des clauses de réversibilité sans conditions permettant à l’État de reprendre l’entière gestion des systèmes critiques. C’est la seule assurance contre le chantage futur. Ensuite, la loi congolaise doit imposer la localisation physique et le contrôle exclusif des données biométriques sur le territoire congolais. Pour cela, l’Etat doit se donner les moyens d’une agence nationale de cybersécurité capable d’auditer et de maîtriser ces systèmes. Enfin ce partenariat public-privé doit servir de catalyseur pour investir massivement dans la formation d’une nouvelle génération d’ingénieurs et d’analystes congolais et africains.

C’est le prix à payer pour la sécurité et la souveraineté numérique.

Centre de Recherche sur le Congo-Kinshasa

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