La nationalité n’est pas la citoyenneté

La nationalité n’est pas la citoyenneté

La nationalité n’est pas la citoyenneté 2560 1253 Centre de recherche sur le Congo-Kinshasa

Eyamba George Bokamba est un universitaire d’origine congolaise et vivant aux USA depuis 1962. Professeur émérite de l’Université d’Illinois et spécialiste de la linguistique, il est à la retraite depuis 2018 dans l’Etat d’Illinois. Auteur de plusieurs ouvrages et publications scientifiques, il est également l’un des co-fondateurs du Centre de recherche sur le Congo-Kinshasa (CERECK). Dans cette interview, le professeur Bokamba nous explique pourquoi la nationalité n’est pas la citoyenneté et pourquoi le Congo-Kinshasa n’est pas un pays francophone.

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Quels sont les liens d’une part, et les différences, d’autre part, entre la citoyenneté, la langue et l’identité ?

De mon point de vue et sur la base d’études réalisées sur ce sujet, la langue représente le deuxième index de l’identité d’une personne. Le tout premier index étant biologique, à savoir le fait d’être une femme ou bien un homme. Bien sûr, la couleur de peau de la personne est aussi très importante. Parce que, d’une certaine manière, elle nous définit. Mais la langue vient avant dans le sens où nous naissons sans parole.

C’est après quelques mois que nous commençons à prendre les mots, puis éventuellement à mettre des mots ensemble pour pouvoir faire une petite phrase, jusqu’à développer un discours. Cet apprentissage, qui peut prendre à peu près 12 voire 13 ans, se déroule dans la maison mais aussi plus généralement dans notre environnement. Et il nous place dans une situation où nous nous définissons comme un Mongo, par exemple, ou un Mukongo, etc. La langue nous ancre dans une identité de manière très profonde et nous distingue des autres. C’est la raison pour laquelle si si vous demandez à un Européen qui es-tu ? Il va dire « Je suis portugais », ou « alsacien » ou « flamand» dans un premier temps, il ne va pas dire qu’il est membre de l’Union Européenne. Il se définira par rapport à la langue qu’il parle. Il ne dira pas non plus qu’il est blanc, parce que c’est à la portée de tout le monde. Ça se voit.
La langue nous définit comme étant des êtres humains appartenant à un groupe ethnolinguistique particulier ou à une tribu particulière. Et dans les pays où les langues se confondent, ou se ressemblent tellement qu’on ne puisse pas les distinguer linguistiquement ou formellement, comme la Suède et la Norvège, le Suédois vous dira qu’il est Suédois et non Norvégien. Et pour temps, il s’agit en quelque sorte, d’une seule langue, avec deux variantes.

Prenons l’exemple de l’Afrique du Sud, le Xhosa et le Zulu sont des langues quasi similaires et les différences entre les peuples Xhosa et Zulu sont avant tout culturelles et politiques. Mais il s’agit d’un même peuple. Alors pourquoi les Xhosa et les Zulu se considèrent différents ? A cause du sens de l’identité.

Alors quelle différence il y a-t-il entre la langue et la nationalité ? La nationalité se situe à un échelon supérieur de la question de la langue. Parce qu’une nation peut recouvrir plusieurs langues. C’est le cas dans beaucoup de pays africains, mais pas seulement. C’est aussi le cas en Asie ou en Europe même si les langues locales ont pu être supprimées pour imposer une langue nationale. Parce qu’avec une seule langue, on parvient à créer un sens de l’unité de manière plus évidente.

La nationalité est le parapluie qui, métaphoriquement, représente un ensemble de personnes parlant différentes langues ou variantes de la même langue et habitant dans le même espace géographique. La nationalité est essentiellement une construction basée sur la géographie, l’histoire d’un pays ou bien de régions particulières et la langue.

Maintenant, la nationalité n’est pas la citoyenneté. Dans le contexte congolais, il pourrait y avoir une confusion, parce qu’à un moment donné de notre histoire, le terme citoyen a été mis en avant. Mais nationalité et citoyenneté ne sont pas nécessairement synonymes. C’est plus complexe.

La nationalité est une définition politique d’un peuple habitant un espace géographique déterminé. Tandis que la citoyenneté se réfère non seulement aux individus qui habitent un espace géographique déterminé, mais aussi à tous ceux qui ont accédé à la nationalité sur la base des lois existantes. Je suis né au Congo, j’ai grandi en partie au Congo mais je suis citoyen américain. Je peux aussi dire que je suis de nationalité américaine. Mais en réalité, ma nationalité n’est pas la même que celle de mes collègues qui sont venus de l’Inde, de la Chine, etc.

La nationalité implique d’être originaire d’un espace géographique et politique bien défini. La citoyenneté s’acquiert. On peut acquérir la citoyenneté américaine, la citoyenneté française etc. Mais est-ce qu’on est pour autant un national de ce pays ?

Regardons, chez nous au Congo. Nous avons eu des Rwandais qui sont devenus des citoyens congolais à la suite d’un décret du président Mobutu en 1972. Mais ils ne sont pas de nationalité congolaise d’autant plus que selon la loi au Rwanda, la nationalité rwandaise ne se perd pas.

Quel rôle a joué le lingala, une des 4 langues nationales, dans la construction de l’identité nationale ?

Premièrement, le lingala joue un grand rôle depuis son adoption comme langue de l’armée congolaise pendant la période coloniale en 1932. La force publique, comme elle était alors appelée, était en bonne partie représentée par des Bangala, c’est-à-dire ceux qui parlaient le lingala comme langue véhiculaire. Comme les militaires étaient envoyés et éparpillés à travers tout le pays et dans toutes les provinces du pays, la langue et son usage se sont diffusés. Qu’on le veuille ou non d’ailleurs, le lingala était exigée pour entrer en relation avec les militaires. Si on a besoin de soutien, si on a besoin de sécurité, si on doit négocier avec un militaire, il fallait maîtriser le Lingala.

Deuxièmement, le lingala a joué un rôle très important dans la définition et l’unité congolaises pendant la période de l’indépendance. L’exemple le plus frappant est celui du premier ministre Lumumba. Quand le président Kasa Vubu avait annoncé qu’il avait révoqué de ses fonctions, Le premier ministre n’a pas hésité à passer à la radio pour dire au président qu’il n’avait pas le pouvoir de le révoquer, parce que lui, Patrice Emery Lumumba, a été élu par le peuple, et non par l’assemblée ou le parlement. Et bien, le discours de Lumumba, à cette occasion, était en lingala. Il ne l’a pas fait en swahili. Ce discours en lingala avait frappé les esprits.

Au cours de la période de Mobutu, dans une troisième phase en quelque sorte, le lingala a aussi fortement contribué à la construction de l’identité nationale. Durant cette période, un très grand nombre de politiciens venaient des régions où le lingala était dominant, comme le Haut-Zaïre, l’Equateur et le Bas-Zaïre. Les gens considéraient le lingala non pas comme la langue la plus importante, mais comme celle la plus populaire de notre nation. La Musique, en cela, a aidé aussi. Depuis les années 1940, le lingala est devenu la langue de la musique congolaise, prenant le dessus sur le Kikongo, le Swahili ou le Tshiluba. Cela s’est amplifié pendant la période Mobutu.

Voilà comment à travers le temps, le Lingala est devenu langue qui définit le Congolais. Le lingala est aussi la langue de la diaspora.

A tel point que quand celui qui se fait appeler « Joseph Kabila » a pris le pouvoir, beaucoup de congolais disaient que ce monsieur ne peut pas être congolais parce qu’il ne parle pas lingala. Oui, il parlait peut-être le Swahili mais justement, ce n’est pas le Swahili qui définissait le congolais mais le Lingala. Pareil, si vous allez à Kinshasa, et que vous ne parlez pas lingala, votre « congolité » peut être questionnée. Bien sûr que c’est une manière de penser erronée mais c’est la perception que les gens avec le Lingala.

Du point de vue de chercheur que vous êtes, pouvons-nous dire que le Congo est un pays francophone ou est-ce qu’il s’agit d’un abus de langage ?

Dire ou penser que le Congo est un pays francophone, ce n’est qu’une perception politique. Cela fait partie du lavage de cerveau colonial.

On accepte cette définition politiquement parce que le Congo utilise le français comme langue officielle et c’est dans ce sens qu’on s’est défini comme un pays francophone.

Mais dans la réalité, c’est un abus de langage. Considérer le Congo comme un pays francophone, c’est faire fi de toute analyse critique de la réalité congolaise. Nous pouvons dire par contre que nous sommes un pays bantouphone. La France est effectivement un pays francophone parce que la plupart des gens parlent cette langue. Ce n’est pas notre cas, et n’a jamais été le cas, au Congo.

Centre de Recherche sur le Congo-Kinshasa

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